La Suisse et l’IA : Aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire 

Alors que le monde s’enflamme autour de la course à la super-intelligence, la Suisse, elle, avance autrement. Pas dans le vacarme des géants ni la course à la dominance numérique, mais dans une forme d’élégance pragmatique : celle d’un pays qui préfère comprendre avant de légiférer, bâtir avant de crier à la révolution. Et pour une fois, cette prudence helvétique pourrait bien devenir un modèle.

Apertus : l’IA suisse qui prône la transparence

L’événement majeur, c’est le lancement d’Apertus, le premier modèle d’IA multilingue et open-source conçu en Suisse. Fruit d’une collaboration entre l’EPFL, l’ETH Zurich et le CSCS (Swiss National Supercomputing Centre), Apertus s’impose comme un contre-modèle face aux mastodontes américains fermés et opaques.

Ce modèle, entraîné sur plus de 15 trillions de tokens et plus de 1 000 langues, y compris le suisse allemand et le romanche, vise à devenir une infrastructure publique, au même titre que l’eau ou l’électricité.

L’idée est simple et puissante : faire de l’IA un bien commun, pas un produit captif.

On parle ici d’une IA ouverte, explicable et auditable. Pas un algorithme sous scellé, mais un modèle que chercheurs et citoyens peuvent examiner, améliorer ou adapter.
Dans un monde où la plupart des IA ressemblent à des boîtes noires tenues par des multinationales, Apertus incarne une autre vision : celle d’une intelligence qui inspire confiance parce qu’elle ne cache rien.

Un pari risqué, certes mais résolument suisse : rigoureux, neutre, et audacieux à sa manière.

Une régulation “à la suisse” : pas d’interdits, mais du bon sens

Là où l’Union européenne multiplie les couches de régulation avec son AI Act tentaculaire, le Conseil fédéral choisit une voie différente : pas de loi globale, mais une régulation sectorielle et contextuelle.

Autrement dit : plutôt que d’imposer un code de conduite universel, la Suisse adapte ses règles à chaque domaine (santé, finance, éducation, sécurité, etc.). Une approche plus souple, mais pas plus laxiste.

L’objectif ?

  1. Encourager l’innovation locale,
  2. Protéger les droits fondamentaux,
  3. Renforcer la confiance du public.

Bref, l’IA “made in Switzerland” se veut humaine par conception et pragmatique par nature. 

Là où certains pays veulent dominer, la Suisse veut simplement rester digne.

Swiss AI Weeks : quand la recherche descend dans la rue

Entre le 1er septembre et le 5 octobre, le pays a vibré au rythme des Swiss {AI} Weeks. Près de 150 partenaires, 160 événements et 24 villes ont participé à cette célébration nationale de l’intelligence artificielle. Des conférences, des ateliers, des débats ouverts… et surtout, une volonté de sortir l’IA des laboratoires pour la reconnecter aux citoyens.

Dans un monde où l’intelligence artificielle effraie autant qu’elle fascine, la Suisse fait ce que peu de nations osent : parler d’IA dans la rue, pas dans une tour de verre.

Le nerf de la guerre : infrastructures et PME

Le Swiss Data Science Center (SDSC) et le canton de Zurich ont lancé un programme d’innovation destiné aux PME suisses, afin de les aider à adopter concrètement l’IA. Onze entreprises ont été sélectionnées pour un accompagnement sur mesure : optimisation logistique, prévision des ventes, automatisation des rapports, ou encore IA responsable dans les RH.

C’est discret, loin des grands discours, mais fondamental. Car en Suisse, on l’a compris : la souveraineté numérique ne se gagne pas à coups de communiqués, mais d’expérimentations locales réussies.

Et pendant que les multinationales font la course aux GPU, les PME helvétiques apprennent à parler IA avec humilité et méthode.

Les menaces montent : IA et cybersécurité

L’autre versant de l’innovation, c’est la vulnérabilité. Les entreprises suisses anticipent une hausse marquée des cyberattaques liées à l’IA, notamment celles générées par des modèles capables de rédiger des emails de phishing indétectables ou d’exploiter des failles automatisées.

Les autorités et les assureurs commencent à revoir leurs protocoles : l’intelligence artificielle ne sert plus seulement à attaquer ou défendre, mais à anticiper les attaques. La Suisse s’oriente ainsi vers une nouvelle ère de cybersécurité prédictive, où la vigilance devient algorithmique.

Une voie médiane dans un monde polarisé

Entre les États-Unis qui foncent, la Chine qui centralise, et l’Europe qui réglemente jusqu’à l’overdose, la Suisse, elle, expérimente. Elle veut une IA qui aide sans espionner, qui crée sans détruire, qui innove sans exclure. Une IA qui agit comme un prolongement du bon sens helvétique : efficace, fiable, discrète.

Mais soyons honnêtes : ce modèle n’est pas sans défis. Créer une IA souveraine, ouverte et multilingue coûte cher. Et dans une guerre mondiale de l’innovation, la neutralité ne protège pas toujours des tempêtes économiques.

Conclusion : une question simple, mais essentielle

La Suisse avance à sa manière moins vite, mais peut-être plus droit. La désormais citation culte de Monsieur Berset serait prend tout son sens ici « aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire » La Suisse veut une intelligence artificielle qui serve sans soumettre, qui explique au lieu d’imposer. Mais à mesure que les machines s’immiscent dans nos décisions, nos créations et nos institutions, une question émerge, plus éthique que technique :

la transparence suffira-t-elle à préserver la confiance, quand la conscience devient artificielle ?

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